En ultra trail, la différence entre un finisher et un abandon ne se joue pas uniquement dans les jambes… mais souvent dans l’assiette.
Les études sont formelles
Plus de la moitié des abandons sur ultra sont liés à des problématiques nutritionnelles
- soit à cause d’un manque d’apports énergétiques,
- soit à cause de troubles digestifs qui rendent toute alimentation impossible.
À l’inverse, les finishers consomment en moyenne 250 à 300 kcal par heure, soit en moyenne 70 g de glucides, grâce à une stratégie nutritionnelle claire, testée et adaptée à leurs besoins.
Autrement dit, votre réussite physique dépend autant de votre plan d’entraînement que de votre plan nutritionnel
Dans cet article, nous allons voir comment structurer votre alimentation pendant la course :
- pour éviter les erreurs fréquentes,
- stabiliser votre énergie
- et franchir la ligne d’arrivée avec lucidité… et plaisir.
Glucides ou graisses - quel carburant en trail ?
On entend souvent dire qu’en ultra trail, “on brûle des graisses”. C’est vrai… mais incomplet.
En réalité, votre organisme utilise en permanence un mélange de glucides et de lipides, dont la proportion dépend de l’intensité de l’effort.
Les graisses offrent une énergie quasi infinie mais lente, idéale sur les efforts à faible intensité (comme la marche).
Les glucides, eux, sont le carburant de l’intensité : rapides à mobiliser, indispensables pour maintenir l’allure, la lucidité et la coordination neuromusculaire.
Les réserves de graisses sont quasi illimitées, tandis que celles de glucides (le glycogène) sont très restreintes.
Tout l’enjeu de la nutrition d’un ultra sera d’être capable d’apporter suffisamment de glucides pour ne pas frapper ce fameux “mur énergétique” qui nous condamnerait à diminuer l’intensité voire à arrêter.
Mais attention : même en sachant que les glucides sont votre principal carburant pour maintenir l’intensité, les erreurs nutritionnelles restent très fréquentes.
En voici quelques-unes que j’ai souvent observées sur le terrain, que ce soit à l’UTMB, à la Diagonale des Fous ou encore sur le GRP.
Commencer à s’alimenter trop tard
C’est l’une des erreurs les plus fréquentes.
Porté par l’euphorie du départ, vous oubliez de manger.
Une heure plus tard, le glycogène musculaire est déjà bien entamé, et l’énergie commence à chuter.
À ce stade, même en mangeant, il est trop tard pour “remplir le réservoir”.
Votre corps n’a qu’une capacité limitée d’absorption : il ne peut pas rattraper un déficit énergétique trop important.
Il faut donc commencer avant d’en avoir besoin, quand tout va bien.
Et ne pas attendre d’avoir faim ni d’être fatigué.e !
En pratique : amorcez vos prises entre 20 et 30 minutes après le départ. Mangez ensuite toutes les 20 à 30 minutes, sans attendre la faim ou le manque d’énergie.
Tester de nouveaux produits le jour J - Bonjour aux troubles digestifs
“Je tente ce nouveau gel que j’ai vu en magasin 2 jours avant ma course.”
C’est une très mauvaise idée !
Le système digestif n’aime pas la nouveauté, surtout sous stress et en plein effort.
Changer de marque, de texture ou d’arôme peut suffire à déclencher nausées, maux de ventre ou diarrhée, et ruiner des mois de préparation.
La règle est simple : rien de nouveau le jour de la course !
En pratique : tous vos produits (boissons, gels, barres, …) doivent être testés à l’entraînement. Le mieux est de le faire sur des sorties longues, dans des conditions similaires à la course en terme d’allure.
Ne pas entraîner son système digestif - l'importance du gut training
En ultra, votre ventre doit être votre meilleur ami et non votre pire ennemi !
S’il n’est pas prêt, c’est toute la course qui est compromise.
Le gut training ou entraînement digestif, consiste à apprendre à votre système digestif à assimiler des glucides pendant l’effort.
C’est un vrai processus d’adaptation : plus vous lui donnez l’habitude, plus il devient efficace.
En ultra, l’entraînement digestif est aussi important que l’entraînement sportif !
En pratique : testez vos produits à l’entraînement, augmentez progressivement la quantité de glucides (par paliers de 10 g/h chaque semaine), et observez vos sensations.
L’objectif est d’arriver à tolérer 60 à 90 g de glucides par heure, sans inconfort.
Ne pas manger assez ou trop manger d’un coup
Deux erreurs opposées, mais tout aussi fréquentes.
Certains coureurs “oublient” de manger, d’autres mangent trop d’un coup !
Dans les deux cas, les conséquences sont grave pour le reste de la course : l’énergie chute ou le mal de ventre s’installe !
Les apports doivent être réguliers, progressifs, et fractionnés.
Une grosse prise (ex : une barre entière ou deux gels d’affilée) ralentit la digestion et surcharge l’estomac. À l’inverse, espacer trop les prises crée un déficit impossible à combler.
La clé, c’est d’être régulier avec son alimentation.
De petites doses fréquentes, toutes les 20 à 30 minutes, assurent un apport constant et une digestion fluide.
En pratique : visez 60 à 90 g de glucides/h, répartis sur 2 à 3 petites prises.
(je conseille parfois à des coureurs que j’accompagne de régler une alarme sur leur montre. Si vous êtes du genre “tête en l’air”, c’est une solution )
Manquer de variété et de plaisir - l’écœurement qui vous stoppe net
Les gels, barres et boissons sucrées passent bien au début.
Mais après plusieurs heures d’effort, le goût sucré devient écœurant, le ventre se crispe, et la simple idée d’un gel peut donner la nausée.
Votre système digestif (et votre cerveau) ont besoin de diversité : des goûts et des textures
- le salé entretient l’appétit, le plaisir et l’équilibre en sodium.
- les aliments “réconforts” (chips, crackers, mini sandwichs, bouillon, compote, carré de chocolat) permettent de maintenir la motivation et de relancer l’appétit.
En pratique : intégrez du salé et des prises réconforts aux différents ravitaillements. Cela peut être des tucs, des bretzels, du fromage, de la charcuterie maigre, de la soupe …
Si vous avez des base vie, prévoyez des aliments plaisir dans votre sac de déléstage (bouillons, mini sandwichs, batônnets de saucissons, M&M’s …)
Mal gérer les ravitaillements et trop improviser
OUI, garder de la flexibilité est essentiel !
Mais arriver au ravitaillement sans savoir ce qu’on va y trouver, c’est prendre un risque.
Certains ravitos proposent des produits très sucrés, d’autres du salé, et parfois rien de ce que vous aviez prévu.
Résultat : soit vous mangez “par défaut”, soit vous repartez sans rien consommer.
Un bon plan nutrition intègre toujours les ravitaillements :
- avant la course, identifiez leur emplacement, leur contenu, et ce que vous comptez y prendre (ces infos sont géénralement accessibles sur le site de la course)
- pendant la course, adaptez selon vos sensations et ce que vous tolérez.
En pratique : votre plan nutritionnel est une base. Les ravitaillements permettent de compléter et d’ajuster.
Ne pas assez s’hydrater et trop se concentrer sur l’alimentation
On se concentre sur les gels, les barres, les ravitos… et on oublie que sans eau, rien ne fonctionne.
Une déshydratation de seulement 2 % du poids corporel peut déjà altérer les performances, ralentir la digestion, et provoquer des nausées…
En ultra trail, les pertes hydriques peuvent dépasser 0,5 à 1L par heure selon la chaleur, l’altitude et votre sudation.
Boire “quand on a soif” ne suffit pas : la soif est un signal de retard.
L’objectif est de vous hydrater régulièrement, sans excès, pour compenser les pertes sans saturer l’estomac.
En pratique : visez entre 500mL et 1L de liquide par heure, en alternant eau claire et boisson énergétique, selon les conditions. Le rythme idéal ? Vous pouvez prendre quelques gorgées toutes les 10 minutes.
Mal diluer sa boisson d’effort
La dilution, c’est souvent un détail qu’on néglige… jusqu’à ce que l’estomac n’en puisse plus du goût de la boisson. L’écœurement est là. Il est trop tard !
- une boisson trop concentrée provoque nausées ou lourdeurs.
- à l’inverse, une boisson trop diluée ne couvre plus les besoins énergétiques ni électrolytiques.
Le bon compromis dépend de la température et de l’effort :
- par temps chaud ou humide : boisson plus diluée, gorgées plus fréquentes.
- par temps froid : boisson légèrement plus concentrée, volumes plus espacés.
Le but est d’assurer un flux régulier de glucides, d’éléctrolytes et d’eau sans saturer l’estomac.
En pratique : adapter sa boisson d’effort (isotonique ou hypotonique) aux conditions météorologiques de la course.
Ne pas écouter ses sensations et être incapable de s'adapter
En ultra, tout ne se joue pas dans les chiffres ou le plan prévu.
Votre corps envoie constamment des signaux : faim, soif, manque d’énergie, lourdeur, écœurement, nausées, perte de lucidité.
La liste peut être longue
Les ignorer, c’est souvent aller droit dans le mur !
Votre stratégie nutritionnelle doit être un cadre, pas une prison !
Adaptez-vous : sautez une prise si vous avez besoin de respirer, changez de texture, buvez un peu d’eau claire, prenez du salé si le sucré ne passe plus.
L’intelligence de course, c’est aussi ça.
En pratique : soyez à l’écoute des signaux de votre corps avant qu’ils ne deviennent des problèmes. Et restez flexible : un ultra, c’est long !
Copier la stratégie d’un autre coureur
“Mon ami fait comme ça, donc je vais faire pareil.”
C’est probablement l’erreur la plus fréquente chez les coureurs bien intentionnés.
Mais en nutrition, ce qui marche pour l’un peut être un désastre pour l’autre.
Tolérance digestive, vitesse, sudation, météo, goûts personnels : tout est individuel.
Ce n’est pas votre niveau de performance qui dicte votre plan nutrition, mais votre expérience et votre capacité à tester.
S’inspirer, oui. Copier, non.
L’objectif est de bâtir votre propre système, celui que vous maîtrisez et que vous avez testé en conditions réelles.
En pratique : inspirez-vous des autres, mais validez tout sur le terrain.
Aller plus loin avec sa nutrition pour préparer son ultra trail
La nutrition en ultra trail, c’est ce qui fait la différence entre subir sa course et la vivre pleinement.
Ce que vous mangez pendant la course influence directement
- votre énergie
- votre lucidité
- et votre plaisir jusqu’au dernier kilomètre.
Ce n’est pas qu’une histoire de chiffres ou des meilleurs produits à utiliser : c’est une question de stratégie, de régularité et de ressenti.
Une alimentation bien pensée vous permet d’éviter le mur, de prévenir les écœurements et de profiter de votre course, même quand la fatigue s’installe.
Car en ultra, la tête, les jambes… et le ventre avancent ensemble.
Pour celles et ceux qui souhaitent aller plus loin, je propose des consultations et du suivi individuel pour construire votre plan nutrition sur mesure, adapté à votre course, vos goûts et vos besoins.
Que ce soit votre premier ultra ou que vous soyez un traileur chevronné, l’objectif reste le même :
- apprendre à manger juste
- éviter les troubles digestifs
- et franchir la ligne d’arrivée avec plaisir
À très vite,
Matthieu Dupont – Nutritionniste du sport
Quelques sources scientifiques
[1] Jeukendrup, A. E. « Carbohydrate Intake During Exercise and Performance: An Update ». Sports Medicine (2014).
[2] Costa, R. J. S., et al. « Systematic Review: Exercise-Induced Gastrointestinal Symptoms in Endurance Athletes ». Alimentary Pharmacology & Therapeutics (2017).
[3] King, A. J., et al. « Gut Training: Improving Gastrointestinal Tolerance and Performance in Endurance Athletes ». Nutrients (2022).
[4] Hoffman, M. D., Stuempfle, K. J., et al. « Race Diet of Finishers and Non-Finishers in a 100-Mile (161 km) Mountain Footrace ». International Journal of Sport Nutrition and Exercise Metabolism (2011).
[5] American College of Sports Medicine. Sawka, M. N., et al. « ACSM Position Stand: Exercise and Fluid Replacement ». Medicine & Science in Sports & Exercise (2007).
[6] Hew-Butler, T., et al. « Statement of the Third International Exercise-Associated Hyponatremia Consensus Development Conference ». (2015).
[7] Veniamakis, E., et al. « Effects of Sodium Intake on Health and Performance in Endurance and Ultra-Endurance Sports ». Nutrients (2022).
[8] Vitale, K., & Getzin, A. « Nutrition and Supplement Update for the Endurance Athlete ». Current Sports Medicine Reports (2019).
Nutrition et ultra trail - Questions
Que faire si je perds l’appétit en course ?
La perte d’appétit est fréquente sur les ultras, surtout après plusieurs heures d’effort ou par forte chaleur.
Elle traduit souvent une fatigue digestive ou un écœurement lié au sucré.
Le risque, c’est de ne plus pouvoir s’alimenter assez longtemps pour maintenir le niveau d’énergie.
Dans ce cas, passez sur des textures liquides (compote, soupe, bouillon). Le liquide passe mieux que le solide et permet de continuer à s’alimenter sans forcer.
Il se peut que le coca soit votre meilleur ami aux ravitaillements ! Si tel est le cas, foncez sans culpabiliser !
Si vous êtes écœuré du sucré, prenez une prise salée ou neutre (chips, crackers … ce qui vous fait envie !)
Et surtout : repartez progressivement dès que les sensations reviennent.
En pratique : quand l’appétit baisse, simplifiez vos apports et dirigez vous vers ce qui vous fait envie. Mieux vaut manger un peu que rien du tout !
Comment gérer les nausées pendant un ultra trail ?
Les nausées sont souvent le signe d’un déséquilibre entre alimentation, hydratation et intensité.
Elles apparaissent quand la digestion ralentit (effort trop intense, chaleur, boisson trop sucrée ou concentrée).
Commencez par ralentir le rythme, buvez quelques gorgées d’eau claire, puis testez une boisson plus diluée ou un aliment salé.
Évitez certains produits comme les gels tant que l’estomac ne s’est pas calmé.
Si la nausée persiste, essayez de marcher quelques minutes tout en vous hydratant légèrement.
En pratique : laissez le ventre se remettre avant de relancer.
Puis-je courir un ultra trail sans gels ?
OUI !
À condition d’avoir planifié des alternatives équivalentes en glucides : compotes, pâtes de fruits, boisson énergétique, purées sucrées, voire aliments maison.
L’essentiel est de respecter la quantité totale de glucides visée(60–90 g), quel que soit le format.
En pratique : les gels ne sont qu’un produit de l’effort parmi plein d’autres !
Faut-il consommer de la caféine pendant un ultra trail ?
La caféine peut aider à maintenir la vigilance et repousser la fatigue mentale, surtout en course de nuit.
Mais elle peut causer des troubles digestifs si elle est mal dosée.
En pratique : testez toujours à l’entraînement, commencez modestement (1–2 mg/kg), et évitez d’en abuser sur la fin de course.

