J’ai souvent évité la lecture des livres grand public sur la nutrition. Ces livres qui répondent souvent aux lois du marketing avant de suivre les sciences de la nutrition.
En réalité, vouloir révolutionner le monde de l’alimentation en trouvant une méthode miracle ou universelle est impossible.
Car ce genre de promesse oublie le postulat de base l’alimentation. Une bonne alimentation se doit d’être individualisée et ne peut être adaptée à tout le monde !
Un exemple simple : on ne donne pas les mêmes recommandations à une personne sédentaire qu’à un sportif régulier.
Ces derniers mois, un livre à particulièrement retenu mon attention. Il s’agit du livre de Jessie Inchauspé : “faites votre glucose révolution. La formule scientifique efficace pour perdre du poids et retrouver votre énergie”
Pourquoi ce livre a-t-il retenu mon attention ?
- le nombre de clients et patients qui m’en ont parlé en consultation
- le pouvoir médiatique et l’engouement autour de cet ouvrage
- l’annonce d’une formule scientifique magique
Et quelle est la grande promesse de ce livre ? Une nouvelle méthode miracle pour perdre du poids qui consiste par exemple à :
- boire une cuillère de vinaigre de cidre avant les repas
- manger les aliments dans un certain ordre
- surveiller de près votre glycémie, comme vous devriez le faire si vous étiez diabétique.
Voyons donc si ce livre est effectivement une “révolution”, ou un gros danger pour la population.
Point important : dans cet article, j’analyse les propos de Jessie Inchauspé. Je ne me permettrais pas de critiquer sa personne.
Une formule scientifique pas si scientifique
Quel est réellement le contexte ?
Peut-on donner des conseils en nutrition qui s’appliquent à tout le monde ? Certainement pas !
Car aucune recommandation nutritionnelle n’est vraie sans poser un contexte !
Par exemple, on ne peut donner les mêmes recommandations à une personne diabétique qu’à une personne sans problème de santé.
Dans ce livre, aucun contexte n’est précisément défini. Et vous verrez qu’en tant que lecteurs, les conseils que nous devrions appliquer concernent des personnes diabétiques (ce qui n’est pas forcément notre cas).
L'émotion avant la raison
Pour un ouvrage qui se veut purement scientifique, quelque chose est particulièrement frappant : l’appel à l’émotion.
L’auteur nous parle dès le début du livre de son histoire personnelle et de son accident. En soit, il n’y a pas de mal à faire intervenir de l’émotionnel pour faire passer un message. Si le message est honnête…
Car lorsque le storytelling se mêle à une manipulation des biais cognitifs, c’est plutôt condamnable.
Exemple : l’auteur nous convainc des bienfaits du vinaigre de cidre grâce à l’histoire de Manhaz, une iranienne dont la famille en consomme depuis des générations. Car en effet, il n’y a aucune preuve scientifique solide sur le sujet (voir la partie suivante),
«Cela ressemble à de la magie, pourtant, c’est de la science», assure Jessie Inchauspé, alias Glucose Goddess (traduisons la «déesse du glucose»). Et bien justement, parlons un peu de science.
Une sélection malhonnête des études scientifiques
L’auteur met en avant l’utilisation de “300 études scientifiques récentes (de moins de 5 ans) pour corroborer ses propos “.
Mais quand on parle de littérature scientifique, la temporalité de l’étude n’est pas forcément un critère de qualité. Le protocole de l’étude est bien plus important !
Il vaut mieux une étude ancienne réalisée sur un échantillon humain représentatif, plutôt qu’une étude récente réalisée sur des rats ou un échantillon humain non représentatif.
Regardons un peu plus près les études sélectionnées par l’auteur. Des études majoritairement réalisées avec des personnes diabétiques ou des personnes obèses. (1) (2) (3).
[1] Shafiee, Gita, Mohammadreza Mohajeri-Tehrani, Mohammad Pajouhi, et Bagher Larijani. « The Importance of Hypoglycemia in Diabetic Patients ». _Journal of Diabetes and Metabolic Disorders_ 11, no 1 (1 octobre 2012): 17.
[2]Kondo, Tomoo, Mikiya Kishi, Takashi Fushimi, Shinobu Ugajin, et Takayuki Kaga. « Vinegar Intake Reduces Body Weight, Body Fat Mass, and Serum Triglyceride Levels in Obese Japanese Subjects ». _Bioscience, Biotechnology, and Biochemistry_ 73, no 8 (août 2009): 1837‑43.
[3]Mitrou, Panayota, Eleni Petsiou, Emilia Papakonstantinou, Eirini Maratou, Vaia Lambadiari, Panayiotis Dimitriadis, Filio Spanoudi, Sotirios A. Raptis, et George Dimitriadis. « Vinegar Consumption Increases Insulin-Stimulated Glucose Uptake by the Forearm Muscle in Humans with Type 2 Diabetes ». _Journal of Diabetes Research_ 2015 (2015): 175204.
Pour résumer, l’auteur choisit des études réalisées sur une certaine catégorie d’individus (ici les personnes obèses et les personnes diabétiques). Et en généralise les résultats à la population générale. C’est ce qu’on appelle dans le milieu scientifique du cherry picking.
Mais est-il légitime de donner les mêmes conseils à des personnes en bonne santé qu’à des personnes malades ?
Scientifiquement parlant, on est loin du compte ! Et cela ne s’arrête pas là.
La physiologie digestive oubliée ?
Prenons un des conseils phare du livre : manger les aliments dans le bon ordre. Il faudrait donc manger les légumes avant les protéines. Puis terminer par les glucides.
Cela permettrait d’avoir une meilleure réponse digestive, notamment au niveau de la glycémie après son repas.
Nous arrivons donc à quelques conseils “pratiques” comme déconstruire son sandwich. Manger les crudités en premier, le jambon ensuite, et le pain, seul pour terminer.
Mais faut-il vraiment en arriver là ?
Reprenons les 3 étapes (volontairement vulgarisées) de la digestion :
Étape 1 : je mâche : c’est le début de la digestion (mécanique et chimique). Une première bouillie se forme.
Étape 2 : cette bouillie est ensuite brassée dans l’estomac. L’estomac agit ici comme une machine à laver qui brasse le tout. Il peut y passer de quelques minutes à plusieurs heures en fonction de la nature du repas.
Étape 3 : la plupart des nutriments (dont le glucose) sont ensuite absorbés au niveau intestinal.
L’étape 2 du brassage de l’estomac est très importante car c’est là que la théorie de l’auteur coince. Lors d’un repas complet (et j’insiste sur ce point), le brassage des aliments rend non significatif l’ordre dans lequel nous mangeons ces aliments !
Une analogie : est-ce que l’ordre dans lequel vous mettez vos vêtements dans la machine à laver importe ? Non. C’est la même chose avec vos aliments dans votre estomac.
Mais pourquoi certains conseils fonctionnent quand même ?
Même si la construction “scientifique” de ce livre est bancale, certains conseils fonctionnent ! Mais pourquoi ?
Conseil 1 : mangez vos légumes avant le reste
En moyenne, les français mangent deux fois moins de fruits et légumes que les recommandations officielles (rapport Interfel de 2021).
Or on sait que la consommation de légumes est positivement corrélée à la perte de poids.
Les Français qui ne mangeait pas ou peu de légumes avant de lire ce livre, et qui grâce à ce conseil vont consommer plus de légumes, perdront donc du poids (4).
Ça n’est donc pas l’impact sur la glycémie qui importe. C’est simplement le fait de manger plus de légumes qu’avant la lecture du livre.
Conseil 2 : marchez après chaque repas
La sédentarité est un fléau : plus de 90% des français ont un niveau d’activité physique insuffisant (rapport ANSES).
Une personne qui ne marchait pas spécialement de base, va augmenter son activité physique quotidienne grâce à ce conseil. Et donc perdre du poids plus facilement. (5)
Ça n’est donc pas marcher absolument après le repas qui fonctionne : c’est simplement le fait de marcher plus. [5]
Conseil 3 : habillez vos glucides
L’auteur a en réalité habillé certains conseils de base (manger plus de légumes, faire de la marche) avec des théories un peu farfelues pour les rendre plus “originaux » et donc plus vendeurs.
Il est vrai que simplement dit comme ça, “mangez des légumes » et “marchez 30 minutes par jour” ne sont pas des conseils très sexy à entendre !
Un livre en réalité dangereux
L’auteur présente donc quelques conseils miracles, mais qui nous détournent d’un réel problème.
Sa méthode “simpliste” entretient l’illusion qu’on peut perdre du poids sans entreprendre un minimum de travail sur soi.
Il faudrait mieux faire confiance à des conseils magiques comme boire du vinaigre de cidre avant chaque repas ou faire des pompes après avoir mangé un cookie.
D’ailleurs, pour terminer le livre, Jessie propose de nous plonger une journée dans sa vie. La vie de « glucose goddess »…
Je vous laisse vous faire votre propre avis avec cet extrait qui m’a profondément choqué.
Avant de terminer, je préfère rappeler qu’en aucun cas cet artcile représente une attaque personnelle à Jessie Inchauspé. Mais par cet extrait du livre, je pense que nous avons l’image d’une personne ayant un rapport troublé à son corps et à son alimentation.
Et qui avec un tel discours, pourrait contaminer d’autres lecteurs / lectrices.
N’oublions pas que lorsque l’on parle de nutrition, c’est de la santé de personnes dont il s’agit. Faites donc attention à certaines théories que vous pouvez entendre, et qui pourraient causer plus de mal que de bien.
À bientôt,
Matthieu Dupont – Nutritionniste
Bonus - la recette de l'effet de mode en nutrition
Avec ce livre, je me suis penché sur une question importante. Une question qui prend tout son sens dans le monde actuel.
Comment créer une imposture “scientifique” ?
Voici la recette en 4 étapes, illustrée avec l’exemple de glucose révolution. En résumé, une stratégie orientée sur une manipulation fine de certains biais congnitifs.
Étape 1 : avancer une théorie ou des propos en jouant sur la peur de l’auditoire
Seulement 12% de la population n’a pas de problème de glycémie: «Il y a de fortes chances que vous fassiez partie des 88% qui souffrent d’un dysfonctionnement de leur glycémie et qui en subissent, sans le savoir, les conséquences.».
Conséquences qui sont très nombreuses et qui peuvent aller “jusqu’au cancer” !
Étape 2 : être quelqu’un de connu et jugé expert dans un domaine (biais d’autorité)
L’auteur a une formation de biochimiste. Un titre scientifique qui raisonne plutôt bien. Même sans être forcément lié à la nutrition.
Étape 3 : chercher les courant de pensées qui vont dans son sens (biais de confirmation)
Il est vrai qu’il existe une réelle “épidémie d’obésité et de diabète”. Mais la glycémie en est-elle seule responsable ? Sûrement pas…
Étape 4 : chercher des exemples qui nous arrangent (biais de sélection)
L’auteur a finement sélectionné des études faites sur des personnes diabétiques ou obèses, pour en extrapoler les résultats à l’ensemble de la population !
Quelques sources scientifiques
[1] Shafiee, Gita, Mohammadreza Mohajeri-Tehrani, Mohammad Pajouhi, et Bagher Larijani. « The Importance of Hypoglycemia in Diabetic Patients ». _Journal of Diabetes and Metabolic Disorders_ 11, no 1 (1 octobre 2012): 17.
[2] Kondo, Tomoo, Mikiya Kishi, Takashi Fushimi, Shinobu Ugajin, et Takayuki Kaga. « Vinegar Intake Reduces Body Weight, Body Fat Mass, and Serum Triglyceride Levels in Obese Japanese Subjects ». _Bioscience, Biotechnology, and Biochemistry_ 73, no 8 (août 2009): 1837‑43.
[3] Mitrou, Panayota, Eleni Petsiou, Emilia Papakonstantinou, Eirini Maratou, Vaia Lambadiari, Panayiotis Dimitriadis, Filio Spanoudi, Sotirios A. Raptis, et George Dimitriadis. « Vinegar Consumption Increases Insulin-Stimulated Glucose Uptake by the Forearm Muscle in Humans with Type 2 Diabetes ». _Journal of Diabetes Research_ 2015 (2015): 175204.
[4] Aune, Dagfinn, Edward Giovannucci, Paolo Boffetta, Lars T. Fadnes, NaNa Keum, Teresa Norat, Darren C. Greenwood, Elio Riboli, Lars J. Vatten, et Serena Tonstad. « Fruit and Vegetable Intake and the Risk of Cardiovascular Disease, Total Cancer and All-Cause Mortality-a Systematic Review and Dose-Response Meta-Analysis of Prospective Studies ». _International Journal of Epidemiology_ 46, no 3 (1 juin 2017): 1029‑56.
[5] Pedersen, B. K., et B. Saltin. « Exercise as Medicine – Evidence for Prescribing Exercise as Therapy in 26 Different Chronic Diseases ». _Scandinavian Journal of Medicine & Science in Sports_ 25 Suppl 3 (décembre 2015): 1‑72.